Nous avons eu un coup de cœur pour Amande de Won-Pyung Sohn. Ce roman bouleversant est un véritable best-seller en Corée, et a une particularité. Publié en 2017, il a été remarqué par un éditeur américain qui l’a repéré et acheté, ainsi traduit une première fois du coréen vers l’anglais. Puis les éditions Pocket Jeunesse ont acheté les droits à ce dernier, avec une seconde traduction confiée à Juliette Lê. A l’occasion de la parution de la Gazette Un printemps 2022 chez PKJ, cette traductrice a accepté de répondre à nos questions et de dévoiler son travail sur ce roman.
Quelle a été votre première réaction en lisant le texte traduit en anglais ?
J’ai tout de suite aimé le style et l’histoire. Je dois avouer que je ne m’attendais pas à trouver tant de violence dans le texte, mais c’est aussi ce qui en fait la force, je crois, cette description détachée d’une violence qui vous retourne l’estomac.
Est-ce la première fois que vous avez à traduire un roman qui a eu une étape intermédiaire de traduction ? Comment avez-vous travaillé pour ne pas vous éloigner de la version initiale ?
C’est en effet la première fois que je traduis un roman qui a d’abord été traduit d’une autre langue. Malheureusement, je ne connais pas le coréen, et je n’ai pas pu comparer les versions. Alors je ne peux pas trop vous répondre. Je pense qu’il y avait certaines choses dans le texte qui ont été modifiées pour être comprises par le public américain, et malheureusement il s’est sans doute perdu des éléments qui auraient été traduits différemment si quelqu’un avait traduit directement du coréen vers le français. Mon travail était essentiellement une traduction du texte anglais, et j’ai essayé de respecter les choix qu’avait fait la traductrice.
Vous avez réussi à retranscrire au lecteur l’évolution de Yunjea à travers le style et les mots choisis. Comment avez-vous construit votre champ lexical ?
J’ai suivi la traduction anglaise, en optant d’abord pour un vocabulaire simple, mais il ne s’agit pas seulement de simplicité. La vision du monde de Yunjea est telle qu’il n’emploie pas d’expressions imagées. Il n’y en avait pas dans le texte anglais, et j’ai veillé à ne pas en ajouter à la traduction, ce que l’on fait souvent par habitude, car le français est une langue très imagée, on a tendance à beaucoup jouer avec le langage, et ici, il ne fallait surtout pas ajouter ce type d’élément, car Yunjea, comme il le décrit, en est incapable.
Yunjea et Gon sont aux antipodes, l’un sans émotion et l’autre au contraire dans un tourbillon perpétuel. Leurs caractères se dépeignent aussi dans leur vocabulaire. Comment avez-vous dosé cela dans leurs discussions ?
Le travail était déjà fait, je n’ai fait que suivre l’anglais, qui, je suppose, devait suivre le coréen. J’ai beaucoup aimé travailler sur les dialogues. C’est intéressant de voir comment les deux personnages communiquent. Ils essaient, ils font de leur mieux, mais ils ont tellement de mal à communiquer avec le monde. Pourtant, ils se comprennent mieux l’un l’autre que quiconque, parce qu’ils prennent le temps de s’écouter et d’essayer de se comprendre.
Combien de temps avez-vous mis à traduire le roman ?
Il est toujours difficile de dire combien de temps prend une traduction. Il y a tellement d’étapes. Tout d’abord une première lecture, souvent des recherches à faire, puis l’acte de traduction lui-même, et de nombreuses relectures. Je ne compte jamais les heures. Pour ce roman, j’ai également effectué des recherches pour en apprendre plus sur la culture coréenne.
Cette histoire pourrait-elle se dérouler partout ? Un lien avec la Corée est très fort, celui du goût, avec de nombreux passages de repas. Avez-vous eu besoin de vous renseigner sur la culture coréenne ?
Je me suis plongée dans la lecture de nombreux livres coréens, pour saisir un peu mieux la culture dans laquelle Yunjea et Gon évoluent. Pour ce qui est du goût, je connaissais déjà un peu la cuisine coréenne, mais j’étais heureuse d’en apprendre encore plus. La culture française elle aussi est pleine de goût, alors dans ce domaine, les deux cultures se rencontrent.
Je pense que cette histoire pourrait se dérouler partout, oui. Il s’agit avant tout de deux jeunes adolescents éprouvant des difficultés à s’adapter à la société. Ce rejet des autres parce qu’on est différent, cela arrive dans toutes les cultures. J’espère que le monde sera de plus en plus tolérant, et que les nouvelles générations seront de plus en plus ouvertes d’esprit, afin que les incompris comme Yunjea et Gon, puissent avoir, eux aussi, leur place, sans devoir se battre pour exister, sans devoir subir la violence.
Une réflexion sur “Portrait de Juliette Lê, traductrice”
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