Direction l’île des justes dans Je n’ai pas trahi

L’originalité de ce roman choral réside dans le sujet abordé : il porte  sur un fait historique jamais abordé dans un roman pour adolescents et offre un nouveau regard sur l’histoire d’un département français lors de la Seconde guerre mondiale. En effet, il n’y a eu aucun déporté en Corse, un grand mouvement de solidarité ayant permis à toutes les familles juives de sortir indemne de cette hécatombe. Les Corses n’ont pas subi toutes les conséquences de l’arrivée d’Hitler au pouvoir, mais ont vécu les persécutions italiennes et l’oppression des Chemises noires, jusqu’au rattachement de l’île à la France.

Frédéric Couderc aime écrire des fictions documentées, où les personnages vivent une histoire plausible dans un décor réel et où le lieu revêt une importance capitale, traité comme un personnage. Son goût des enquêtes littéraires de terrain provient de son expérience journalistique et ses nombreux reportages. Auteur de plusieurs romans parus aux éditions Héloïse d’Ormesson, il a choisi, pour son premier roman jeunesse, une ville inspirante qu’il connait bien, Ajaccio, l’occasion de retracer l’histoire de l’île, entre fascisme et nazisme.

Salomon, 1943

Depuis un mois qu’ils étaient en Corse, les hommes de Mussolini se croyaient partout chez eux. C’était une invasion de chemises noires et pantalons gris-vert bouffants. Une occupation de ceinturons, de bottes de cuir bien cirées et de bérets stupidement vissés sur la tête.
– Ils nous ont vu à travers la vitrine, objecta Salomon. Si l’on passe par la cour, ils vont nous cueillir de l’autre côté. Il faut leur ouvrir. Tu sais bien que les Juifs ne craignent rien en Corse.

Seul avec sa sœur Francette dans la boutique familiale, il est décontenancé par des coups sur la porte et un « Ouvrez ! Milice !! ». Forcés d’ouvrir, ils se retrouvent devant trois Chemises noires pour une discussion mouvementée, qui se termine par l’arrestation de la grande sœur. Persuadée qu’elle pourrait semer les trois miliciens, elle accepte d’être emmenée pour protéger son petit frère. Elle ne pouvait se douter que dans sa fuite, elle serait fauchée par un motard… Un drame aux séquelles indélébiles pour Salomon qui devra grandir avec cette injustice…

Luna, 2019

Déménager à 16 ans n’est pas chose facile. Luna ne s’habitue pas vraiment à sa nouvelle vie près d’Ajaccio, imposée par Garance, sa mère tout juste divorcée. Celle-ci, tellement impliquée dans sa vie trépidante de journaliste, ne perçoit pas la difficulté de sa fille pour s’intégrer au lycée. Pour Luna, Bastia et Ajaccio sont aux antipodes, ne se reconnaissant pas dans les styles et habitudes des jeunes de son âge.

Avec cette manie qu’elle avait d’avancer en levant le menton, cette pose altière, elle ne fit pas attention à Mattéo, qui la suivait souvent un peu partout.
Ce dernier s’arrêta net à la vue d’un graffiti qui s’étalait en lettre rouge sur le mur du lycée, derrière l’arrêt du bus: « Arabi Fora ».
« Les arabes dehors », comme l’expression d’une routine.

Même lycée, même classe, même projet pédagogique en histoire : Luna et Mattéo participent au Concours national de la résistance et de la déportation.  Ce premier déjeuner ensemble aurait dû leur laisser un souvenir agréable, mais il aura, au contraire, un gout amer chargé de terreur et de colère. Ils se trouvent au mauvais endroit au mauvais moment, et seront les témoins d’un règlement de compte en plein jour…

Cet incident grave soudera encore plus cette amitié naissante, et marquera le début d’une belle complicité. Ensemble, ils affronteront les tracas de la vie pour rebondir positivement. Entre les recherches de Luna pour le concours, les défis artistiques sur les murs de la ville de Mattéo et leur présence sur le lieu d’un crime, ils seront attirés par un homme au passé flou, le seul à pouvoir remplir des zones obscures…

Ajaccio, un décor bien présent

Le lecteur déambule dans Ajaccio, comme s’il connaissait la ville, entre hier et aujourd’hui, et découvre au fil des chapitres aux narrations croisées, l’histoire de l’île de beauté. Cette visite insolite et historique invite à réfléchir sur le poids du passé, oscillant entre une soif d’indépendance et une annexion passée italienne et ses répercussions aujourd’hui.

UN ROMAN CHORAL SUR TROIS GÉNÉRATIONS QUI DÉPASSE LA SIMPLE SAGA FAMILIALE, DANS UN CADRE IDYLLIQUE AU PASSÉ COMPLEXE

Touchée par la maturité et la volonté de Luna, par le courage et le combat de Garance, par l’énergie et le protectionnisme de Mattéo, par les blessures de Salomon : chaque personnage a une force incroyable en lui. Qu’elle soit animée par la curiosité, la recherche de réponses, une soif d’idéal ou encore la vengeance, elle habite chacun et tisse entre eux un lien invisible et indéfectible.

Roman d’apprentissage contemporain aux allures de roman historique, Je n’ai pas trahi se lit comme l’enchevêtrement de deux feuilletons avec un équilibre parfait entre les deux époques, où l’alternance entre faits historiques détaillés et vie moderne rythmée et dialoguée apporte un souffle constructif à la narration. Conçu comme un puzzle, il évoque des destins qui se rejoignent et les séquelles du passé à travers la vision neutre et porteuse d’espoir de deux jeunes lycéens. Tout les oppose et, pourtant par leur héritage familial, ils représentent la Corse de demain.


 

Je n’ai pas trahi
Frédéric Couderc
Editions Pocket Jeunesse
9782266287975
disponible le 6 juin 2019
à partir de 13 ans

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