Entretien avec Karine Van Wormhoudt et Maÿlis de Lajugie, éditrices “Litt’” chez Albin Michel Jeunesse

Après avoir évoqué leur travail sur les littératures de l’imaginaire à travers la collection « Wiz », Karine Van Wormhoudt et Maÿlis de Lajugie nous parlent aujourd’hui de la littérature contemporaine pour les adolescents chez Albin Michel Jeunesse. La collection « Litt’ » s’adresse aux jeunes à partir de 13 ans et propose des textes réalistes de création française et étrangère.


C’est en septembre 2015 que nous découvrons la collection « Litt’ » avec Wild girl, d’Audren et Le pays qui te ressemble, de Fabrice Colin. Quelle était votre envie avec la création de cette nouvelle collection ?
A l’époque, le segment des mondes de l’Imaginaire, qui dominait le marché depuis une quinzaine d’années, était au creux de la vague. On sentait une envie de revenir à des romans plus ancrés dans le réel. Nous en avons profité pour lancer « Litt’ » pour les bons lecteurs à partir de 13 ans. Cela nous a permis de travailler avec des grands noms de la littérature jeunesse mais aussi de la littérature générale. L’idée n’était pas d’inonder le marché, mais de pouvoir défendre nos coups de cœur et nos choix. Aujourd’hui « Litt’ » est une collection reconnue et qui a déjà fait l’objet de nombreuses sélections dans de prestigieux prix de littérature ados, et a reçu de très beaux prix.

La collection est marquée par une identité graphique (une bande colorée sur la couverture, un picto rappelant le thème du roman sur le dos) qui tend aujourd’hui à être moins présente (pas de bande colorée pour Surf sisters, un cadre complet pour Mon cœur en apnée) : vous la cherchez encore ?
Nous nous plions aux exigences du visuel retenu en couverture ! S’il laisse de la place au logo « Litt’ » et à la bande en une, nous les gardons, sinon nous les conservons uniquement sur le dos ou sur la 4e. Les logos sont un repère pour les libraires et les bibliothécaires, mais nous pensons que c’est beaucoup moins important pour les lecteurs et les lectrices, c’est pourquoi nous préférons soigner nos couvertures.

En 2017 paraît Marie et Bronia, le pacte des sœurs, une biographie romancée de Marie Curie. Depuis sont sortis Rester debout, sur la jeunesse de Simone Veil et, ce mois-ci, Cassius, sur Mohamed Ali, inaugurant le nouveau label « Destins ». Comment s’est construite cette nouvelle ligne de la collection « Litt’ » ?
J’avais lu le document sur Marie Curie que Natacha Henry avait publié chez Vuibert et j’avais été bluffée par sa vision de Marie Curie, montrée comme une héroïne beaucoup plus accessible que la façon dont elle est présentée d’habitude. C’est ce qui m’a donné envie de contacter Natacha pour lui demander de faire une biographie romancée dans « Litt’ ». Marie Curie est un personnage extrêmement inspirant pour la jeunesse d’aujourd’hui : c’est une femme qui n’a pas hésité à venir étudier, dans un pays et une langue inconnus, une discipline traditionnellement réservée aux hommes. Marie et Bronia, le pacte des sœurs a rencontré tout de suite un grand succès. J’ai alors eu envie de creuser cette piste et de rendre hommage à d’autres personnalités exceptionnelles dont les combats et les défis pourraient être ceux des ados d’aujourd’hui.

Qui seront les prochains « Destins » ? Et comment les sélectionnez-vous ?
En septembre sort un magnifique texte de Carole Trébor sur Katherine Johnson, cette femme noire-américaine qui a été un pilier de la conquête spatiale, dans l’ombre des hommes, et a réussi à briser les carcans sexistes et racistes à force de patience et de travail. Nous sortons ce texte à l’occasion du cinquantième anniversaire du premier pas sur la lune. Et en novembre nous publions une magnifique bio romancée sur Marilyn Monroe par Fabrice Colin. Hollywood est aussi une machine qui a broyé les femmes, et c’est un message important aujourd’hui. Je fais de la commande, mais je reçois aussi des propositions, de plus en plus, d’ailleurs.

En dehors de ce nouveau label « Destins », d’autres auteurs français sont-ils au programme cette année ?
En octobre je publie dans « Litt’ » un extraordinaire, et je pèse mes mots, roman de Sarah Cohen-Scali : une fresque historique époustouflante, qui nous entraîne dans les dernières semaines de la Seconde Guerre mondiale, l’Angleterre de 1945, l’Allemagne de l’Est des années 60, le Paris d’aujourd’hui, aux côtés de héros exceptionnels sur les traces de leur amour.

La collection « Litt’ » fête ses 5 ans en 2020 : quel est votre ressenti ? Un événement est-il prévu pour fêter cet anniversaire ?
Pouvoir proposer des textes exigeants, mais accessibles, aux ados, est pour moi une grande chance ! Nous continuerons tant que les libraires et les bibliothécaires nous suivront, ainsi que les lecteurs et les lectrices. Pour l’instant, nous n’avons pas encore réfléchi à une façon de fêter les 5 ans de la collection. Je ne m’étais même pas rendu compte que cela faisait déjà 4 ans !


Du côté de la littérature étrangère contemporaine, la collection « Litt’ » est très anglo-saxonne, c’est un choix ?
Nos choix Litt’ en littérature étrangère sont très restreints, nous en publions environ quatre par ans. Naturellement, je sélectionne plus volontiers des textes que je peux lire dans leur version originale, ce qui limite mes choix à l’anglais, l’espagnol et le portugais. Jusqu’ici j’ai donc acheté essentiellement des textes d’origine britannique ou américaine, mais je ne m’interdis pas d’explorer d’autres territoires.

Dans Mon cœur en apnée, Hate list ou encore Frères, les thématiques sont très fortes avec des parcours d’adolescents très contemporains. Là aussi c’est une volonté de proposer ce genre de texte ?
C’est l’objectif de Litt’, proposer des textes contemporains, audacieux dans leur forme narrative, leur propos, aux adolescents. L’aventure et le fantastique sont le domaine de la sœur de « Litt’ », la collection « Wiz ».

Et puis il y a les romans de Michelle Dalton, une autrice que vous suivez particulièrement, et qui donne un peu plus de légèreté à ce catalogue, c’est pour contrebalancer les thèmes plus durs/forts ?
Michelle Dalton, c’est un peu la Judy Blume de notre catalogue. Elle excelle dans le roman d’été sensible et intelligent, qui aborde toujours une première histoire d’amour et un autre thème typiquement adolescent, comme le deuil d’un grand-parent, la fin de l’enfance ou encore les routes qui se tracent au seuil de l’âge adulte.

Qu’allons-nous découvrir pour la fin de l’année en littérature étrangère chez « Litt’ » ? Et en 2020 ?
En fin d’année, nous retrouvons avec grand plaisir l’auteur de Frères, Kwame Alexander. Dans Les vrais champions dansent dans le blizzard, Kwame nous relate les aventures de Chuck Bell, lors de l’été 1988. Chuck vient de perdre son père, et ses repères. En rupture avec sa mère, il va passer l’été près de Washington, chez ses grands-parents. Un été pour découvrir le basket-ball, Mickael Jackson, et le roller. Un été pour apprivoiser ses larmes, et rebondir.
En 2020, nous retrouverons mon autrice favorite, Amy Reed, à qui nous devons l’incroyable Nous les filles de nulle part, roman coup de poing sur la culture du viol. Dans son nouvel opus, elle décrit un monde au bord du chaos, et la rencontre de deux solitudes. Ce nouveau texte est un vrai chef d’œuvre, qui confirme l’immense talent d’Amy Reed.
Nous découvrirons aussi le premier roman de David Yoon, romancier américano-coréen, qui raconte avec humour et sensibilité l’émancipation d’un jeune homme d’origine coréenne, tenaillé entre les traditions familiales et sa propre envie de liberté.

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