Alice Saint-Guilhem est l’éditrice en charge des romans destinés aux 8-12 ans chez Pocket Jeunesse. Passionnée par la littérature jeunesse, elle nous livre sa conception de cette tranche d’âge, et les coulisses de son métier.
Vous vous occupez des 8-12 et de quelques coups de cœur pour les plus grands. Pouvez-vous nous donner votre vision des 8-12 ans ?
Je suis avec un grand bonheur la tranche d’âge 8-12 ans depuis plus de 8 ans chez Pocket Jeunesse. J’ai un vrai coup de cœur pour ces jeunes lecteurs ! C’est une période passionnante, parce qu’à cet âge, les enfants sont curieux, s’intéressent à tout et font preuve d’un enthousiasme génial ! Quand ils aiment quelque chose, ils veulent tout savoir… et tout lire. C’est aussi la période clé de l’apprentissage puis l’approfondissement de la lecture, et quand ils accrochent, ils peuvent facilement se transformer en lecteurs voraces. C’est ce moment où on lit en cachette à la lampe de poche sous la couette ! Et où on peut relire six fois le même livre tellement on l’adore. Le 8-12 ans, c’est aussi l’âge où se forment le caractère, la personnalité, les goûts, et un vrai discernement sur la vie.
Est-ce que vous avez ressenti une évolution particulière pour cette tranche d’âge ? Aujourd’hui, la concurrence éditoriale est beaucoup plus forte : comment vous positionnez l’offre PKJ ?
Depuis 3-4 ans sur le marché du livre jeunesse, on sent un vrai renouveau pour le 8-12 ans. Là où, il y a une dizaine d’années, les titres jeunes adultes régnaient en maîtres, avec les phénomènes Hunger Games, Le Labyrinthe, Divergente, Nos Etoiles contraires… Avec le jeune adulte, les frontières de la littérature jeunesse ont largement débordé et bougé vers un public plus âgé. Ça a commencé dès Harry Potter en fait, et depuis on voit des lecteurs de 35 ans se précipiter sur des romans jeunes adultes ! Aujourd’hui, à l’international, aux foires de Bologne ou de Francfort, mais aussi à l’occasion de nos voyages de prospection à Londres ou à New York, nous, au service édito PKJ, voyons nettement que les éditeurs anglo-saxons se sont repositionnés sur les livres pour les plus jeunes. Même chose chez nos confrères italiens ou allemands. Ce sont des cycles et des phases. D’une certaine manière, la jeunesse est vraiment revenue au cœur de l’enfance, et c’est bien ! Alors, c’est vrai, la concurrence est rude, mais le catalogue Pocket Jeunesse est très riche et fort, nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur de grosses locomotives comme La guerre des Clans ou Les P’tites Poules en illustré, ce qui nous permet de soutenir des choix littéraires ou audacieux comme Les Doldrums ou Comment un écureuil, un héron et une chouette sauvèrent le père de Casper. C’est aussi grâce à notre force commerciale que nous avons pu installer des titres comme Wonder, La Pâtisserie Bliss, ou lancer la série Nevermoor, à la fois bijou de créativité et d’imagination et succès international !
Beaucoup de traductions aujourd’hui : est-ce que vous choisissez toujours les illustrations de couverture de la version originale ?
Comme pas mal de choses dans notre façon de fonctionner chez PKJ, le choix des couvertures est vraiment à la carte et au coup de cœur. Il n’y a pas de règle écrite, on suit son intuition. Si on aime la couverture étrangère, on fonce ! Et sinon, on en crée une nouvelle. Je précise que ces choix ne sont pas faits uniquement par nous, éditeurs : ce sont des décisions collégiales au sein de la maison. Et puis on a la chance de pouvoir s’appuyer sur notre direction artistique et notre studio, et leur œil créatif est précieux !
Avez-vous une volonté de développer davantage la publication d’auteurs français ?
D’un point de vue personnel, et de par mon parcours professionnel puisque je viens de la littérature étrangère, j’avoue avoir un faible pour les auteurs étrangers, qui me portent vers autre chose. Et puis je trouve les anglo-saxons vraiment brillants lorsqu’il s’agit de créer des histoires et d’emmener le jeune lecteur dans un autre monde. Ils ont un vrai talent, et ce sens de l’imagination et de la narration est encore plus évident pour une tranche d’âge comme le 8-12 ans, où la richesse du « story-telling » et l’inventivité sans limites sont essentielles. Mais j’adore les auteurs français, je suis fan de Jean-Philipe Arrou-Vignod ou Malika Ferdjoukh, j’ai grandi avec Yvan Pommaux et Susie Morgenstern, et je trouve important de soutenir la création. Donc dans le catalogue éclectique qui est celui de PKJ, où je rappelle que nous publions tout de même La Rivière à l’envers, de Jean-Claude Mourlevat, livre culte dans les écoles en France et best-seller absolu sur la tranche d’âge, nous ne nous interdisons rien et nous pouvons tout faire. Aussi nous sommes ravis de saisir les opportunités dès qu’elles se présentent, que ce soit d’accueillir Delphine Pessin et son roman Dys sur dix, Elisabeth Brami et Christophe Besse pour la collection Et Alors ? ou de poursuivre avec nos auteurs, Lorris Murail, Christophe Galfard et évidemment Christian Jolibois et Christian Heinrich !
Notre grand coup de cœur de ce début d’année : Charlie Fisher et le gang des Whiz de Colin Meloy et Carson Ellis. Une anecdote à nous dévoiler autour de ce roman ? Qu’est-ce qui vous a plu dans ce projet ? L’intrigue qui se déroule à Marseille ? Les illustrations ? Les multiples rebondissements ? Comment avez-vous repéré ce titre ?
J’avais déjà repéré Les Chroniques de Wildwood, le précédent livre de Colin Meloy, qui m’avait tapé dans l’œil. Et lorsque nous avons reçu le nouveau manuscrit de l’auteur, le simple fait de tomber nez à nez avec ces superbes illustrations au trait totalement loufoques nous a emballé ! Je n’avais rien vu de tel auparavant. Ensuite, quand j’ai lu le mot de l’auteur, qui racontait que ce nouveau roman partageait avec Les Chroniques de Wildwood l’importance accordée au décor, qui pourrait presque être un personnage à part entière, cela m’a intéressée. J’ai trouvé ça génial qu’un auteur américain ait le culot de choisir la ville de Marseille comme toile de fond, qui plus est dans les années 60, pour un livre jeunesse. Quand Colin Meloy raconte son premier week-end à Marseille, émerveillé et totalement endormi par le décalage horaire, à sillonner avec son épouse les ruelles du Panier et du Vieux Port, pour commencer ses recherches et sa documentation, quand il raconte sa joie d’avoir une excuse parfaite pour passer des heures à visionner des vieux films français de gangsters ou de la Nouvelle Vague, j’ai adoré l’idée même du roman !
Racontez-nous la magie de ce projet ambitieux ! Votre travail avec ce duo de talent ? Un scoop sur la deuxième aventure des Fabuleuses aventures d’Aurore ?
C’était avant tout un travail d’équipe. Avec Natacha Derevitsky, la directrice éditoriale, avec la traductrice, Catherine Nabokov, avec la maquettiste, notre chef de fabrication, le photograveur et nos responsables correction, nous avons travaillé d’arrache-pied. Au tout début, Natacha et moi avons même refait la maquette aux ciseaux et à la colle ! Les nombreuses étapes d’épreuves successives ont demandé une exigence et une attention extrêmes. L’illustré demande toujours un soin particulier, qui plus est lorsqu’on publie les illustrations d’un auteur comme Joann Sfar. Chaque nuance d’aquarelle comptait. Mais ce qui était génial, c’est que Douglas et Joann ont été enthousiastes et émerveillés par ce travail dès la première minute des aventures d’Aurore, et ils nous ont donné leur confiance totale ! Travailler avec ces deux grands auteurs était à la fois un privilège et une aventure ! D’un côté Douglas, qui répondait à tous ses mails à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, de New York, d’Afrique du Sud ou de Berlin ; de l’autre Joann, qui nous validait le choix du papier et la maquette en blanc en pleine signature à Montreuil, en interrompant la file d’attente des lecteurs des Fables de Lafontaine, ou qui nous a remis la couverture aux Arts Décoratifs ou dessiné les légendes des illustrations à la main sur un coin de table du bistrot dont Douglas a fait son QG au canal Saint-Martin ! Nous venons à peine de recevoir le manuscrit du tome 2 qui est aussitôt parti en traduction. Le scoop ? Il est encore meilleur que le premier !
Je viens de terminer Eleventh trade un roman à paraître à la rentrée. J’ai trouvé l’intrigue très originale. Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce texte où les trocs reviennent à la mode ? Et le choix du titre : ce sera la traduction littérale, ou un nouveau ?
C’est surtout le contexte de ce petit garçon afghan émigré à Boston aux Etats-Unis, et la filiation avec son grand-père qu’il adore, qui m’ont touchée. Rare de trouver cette justesse et cette délicatesse sur le thème de l’émigration et des réfugiés, rarement abordé en 8-12 ans. Nous allons l’appeler Mes Copains, mon grand-père et moi, pour axer davantage sur la famille, la transmission, l’entraide et l’amitié.
Un projet en 2020 qui vous tient déjà à cœur ?
Nous travaillons en ce moment même sur le programme 2020, et j’ai plein de livres qui me tiennent à cœur ! Le Voyage de Coyote, le road-trip d’une jeune fille et de son père à travers les Etats-Unis à bord d’un school-bus jaune ; Small Spaces, un roman horrifique de copains perdus en sortie scolaire dans une forêt terrifiante, un Stranger Things pour les 8-12 ans qui donne vraiment la chair de poule ; et Dundoodle Mysteries, les aventures d’Archie et de ses deux inséparables meilleurs amis dans une fabrique de fudge et de chocolat hantée, une série gourmande à la Bliss, le suspense en plus !