A l’occasion de notre nouvelle collaboration avec les éditions Théâtrales jeunesse, nous avons souhaité interroger Pierre Banos, son directeur, pour nous parler de la maison et de leurs projets autour de l’écriture théâtrale contemporaine pour la jeunesse. L’occasion de revenir sur déjà 17 ans de publications !
Quelle est la ligne éditoriale des éditions Théâtrales, et de sa collection jeunesse ?
La ligne éditoriale globale de la maison s’articule autour de trois axes : le théâtre, défendu comme un genre littéraire (forte potentialité de lecture pour eux-mêmes des textes) ; une attention particulière aux nouvelles écritures, et une politique d’accompagnement d’auteur·rice·s ; une autonomie des choix par rapport à l’actualité scénique, nous choisissons les textes sur leurs qualités, non parce qu’une création est prévue. En jeunesse, l’attention est accentuée sur des thématiques sociales et politiques, en cohérence avec notre statut coopératif.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qu’est Théadiff ?
En janvier 2017, nous avons créé le service de diffusion « Théâdiff », partant du constat que notre fonds spécialisé serait mieux accompagné par une diffusion spécialisée, c’est-à-dire une information spécifique à notre genre, nos auteur·rice·s, nos textes en direction des libraires (dans un premier temps), des bibliothécaires et du monde de l’enseignement et de l’animation. Et comme l’union fait la force, nous avons convaincu une petite dizaine de marques éditoriales (dont deux produisent de la jeunesse) de nous rejoindre dans ce regroupement d’intérêts communs. Alors que le monde de l’édition demeure assez concurrentiel, nous estimons que le livre de théâtre est suffisamment complexe à défendre malgré les nombreux atouts qu’il renferme pour ne pas s’affronter, mais mettre nos forces en commun. Ainsi, nous avons notamment produit une sélection commune, les « Essentiels », qui regroupe 170 titres (sur les 1 200 que nous diffusons, tous éditeurs confondus) majeurs de tous nos catalogues respectifs, en direction des bibliothèques. En tant que diffuseur, nous produisons également des outils de repérages (thématiques et/ou dramaturgiques) ; faisons également stand commun au Salon du livre de Montreuil…
Vous êtes particulièrement attaché à la transmission et à la formation des prescripteurs au livre de théâtre, c’était une conviction dès le départ ?
L’histoire de cette maison est liée à l’éducation populaire, et donc à la transmission, car nous sommes nés en 1981 au sein de la Ligue de l’enseignement, pour devenir, dès 1989, un éditeur indépendant, et une coopérative en 2015. Toutefois, lorsque nous avons créé « Théâtrales Jeunesse » en 2001, nous sommes sans doute un peu trop restés éloignés des prescripteurs en leur faisant confiance dans leur choix parmi les textes que nous publiions. Nous estimions initialement que ce n’était pas le rôle d’un éditeur de guider, accompagner les lecteur·rice·s. Et précisément ce sont ces dernier·ère·s qui nous ont alerté sur des besoins de repérage. C’est ainsi que nous avons créé en 2009 des Carnets artistiques et pédagogiques (en associant des prescripteurs à leur conception). Ces CAP sont disponibles gratuitement en ligne en direction des enseignant·e·s et autres médiateur·rice·s et proposent des pistes (le ton n’est pas injonctif) pour l’analyse des textes, leurs mises en voix et en scène, mais aussi offrent un regard multiple sur l’atelier de l’auteur·rice et l’environnement artistiques (créations…) des textes concernés. Les CAP équipent aujourd’hui une quarantaine de textes.
Puis, toujours en termes de transmission, nous avons publié deux Répertoires critiques du théâtre jeunesse par la spécialiste Marie Bernanoce, qui analyse près de 200 textes de théâtre jeunesse (À la découverte de cent et une pièces ; Vers un théâtre contagieux). Nous avons fabriqué une exposition autour de la collection que nous prêtons aux bibliothèques et aux théâtres. Enfin, nous développons actuellement une offre de formation pour répandre les qualités intrinsèques du texte de théâtre contemporain.
Quel est votre rapport avec les auteurs que vous publiez ?
Nous pratiquons ce qu’on nomme une « politique d’auteur·rice ». Peut-être n’est-ce qu’une « tarte à la crème » de l’édition, toujours est-il que nous tâchons d’être dans l’accompagnement des auteur·rice·s : quand nous opérons nos choix, nous essayons de nous dire qu’il s’agirait de faire un bout de chemin (avec certains le chemin se poursuit depuis plus de quinze ans…) ensemble ; nous travaillons sur les textes avec eux, non pour contrôler la création, mais bien pour tendre vers une lecture possible par tout type de lecteur·rice·s ; par nos actions de médiation, nous mettons en avant les auteur·rice·s, qui sont bien souvent les acteur·rice·s de ces mêmes actions. Nos rapports sont donc proches, nous estimons même animer une communauté d’artistes ouverte sur les autres et sur le monde.
En 2020, la collection Théâtrales jeunesse aura 18 ans : quel est votre ressenti sur votre catalogue et quelles sont vos envies pour l’avenir ?
Encore un lieu commun peut-être : que nous n’avons pas vu le temps passé depuis le premier salon de Montreuil où nous avions six livres à présenter. Que la centaine de successeurs ont été chacun comme une petite aventure et que tout cela compose un bel éventail formel, thématique… La réussite de la collection, nous la devons : à la dimension militante et bienveillante de sa directrice de collection, Françoise du Chaxel, elle-même autrice, mais une véritable passeuse ; à nos petits ballons colorés sur les couvertures qui confèrent à la collection une identité graphique repérable, et ce grâce à son créateur, le talentueux et fantasque Mathias Delfau ; aux auteurs et autrices qui nous ont confié tant de beaux textes, reconnus par des Prix, légitimés par des sélections pédagogiques… ; à tou·te·s les médiateur·rice·s qui œuvrent dans des comités, des prix, des dispositifs de valise-théâtre, des bibliothèques spécialisées ou non, pour défendre le théâtre contemporain jeunesse. Une communauté qui ne mesure peut-être pas son « existence », mais qui nous permet de poursuive le travail.
Un projet qui vous tient à cœur ?
Empilons un ultime cliché (volontaire !) : continuer ! À une époque numérique où l’édition de livres papier ignore quel sera son avenir à moyen terme nous espérons, oui, poursuivre ce travail de découverte, d’accompagnement, pour proposer de nouvelles œuvres, rencontrer les écritures théâtrales en devenir… Et que l’aventure Théâdiff s’ancre pour permettre aux médiateur·rice·s d’accueillir encore davantage de textes de théâtre, jeunesse notamment, qui, sans doute avec la poésie jeunesse, est un secteur où l’invention formelle et le culot thématique des créateur·rice·s est la plus vivace.